mercredi 25 janvier 2012

Le chemin

(par Fernando Vilela, Editions Autrement, collection histoires sans paroles, septembre 2007)


Le chemin est un album sans paroles.
Le récit est simplissime et reprend pour la enième fois le vieux thème de la chevalerie et de la délivrance de la princesse par un chevalier plein d'ardeur.
Les personnages et les décors sont construits à partir de "tampons" qui accolés et superposés les uns aux autres finissent par représenter le cheval, le chevalier, la poussière, la ville, les dragons.... Quelques traits indiquent la route, donnent la direction, délimitent la forme.
Les pages sont noires et grises sur un fond beige ; des taches de couleurs donnent une atmosphère, ponctuent un décor, expliquent l'action... verte, blanche, rouge.
Des cadrages enflammés entraînent le lecteur dans une course folle où le héros combat des dragons furieux qu'il enfourche ensuite pour combattre d'autres monstres encore plus fous.


Tout est parfaitement lisible d'emblée sans que rien ne soit réaliste. Les images parlent d'un déchaînement de violence que vit avec bonheur et rage le héros.


On rit aussi du ridicule de ce chevalier de bric et de broc qui mène des actions impossibles et entreprend des exploits imaginaires. Un rien godiche, la princesse, posée sur sa tour, est l'objet de ces combats titanesques. Elle agite les bras, impuissante et passive, en somme, parfaite dans son rôle.
Cet album est un bon exemple de la force que le cadrage peut donner aux images. Voici un exercice qui permet de s'en rendre compte.
- Prendre des calques de format A3
- Poser un calque sur une double page. Centrer l'album sous le calque.
- Prendre un feutre épais et décalquer les contours et quelques détails comme les yeux, une lance, un trait.
- Mettre le calque à plat sur un fond blanc et terminer le dessin pour remplir le format A3 entièrement. Il faudra tourner les pages pour savoir comment terminer un animal, imaginer les circonvolutions de l'autre, construire l'architecture de la tour.
- Prendre maintenant une feuille A3, évider au milieu le format d'une double page de l'album et promener le cadre ainsi construit sur le dessin réalisé sur le calque.
- Pour chaque page re-dessinée sur le calque, choisir son propre cadrage avec soin de manière à raconter l'histoire du chevalier de la manière la plus efficace possible. Rappelez-vous qu'il n'y a pas de texte pour aider votre lecteur.

vendredi 20 janvier 2012

Sommes-nous d'accord pour offrir "du temps de cerveau disponible" à TF1 ?

Petite révolution, en 2004, dans le monde des médias : on apprenait que l'objectif de la télé était de vendre du "temps de cerveau disponible" pour la publicité ! Revenons sur cette affaire qui nous concerne directement, nous et nos cerveaux.

Les faits
Le Pdg de TF1, en 2004, Patrick Le Lay déclarait dans un livre Les dirigeants face au changement (éditions du Huitième jour) :"Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau disponible"
Reprenons la phrase entière :
"Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible". (source : Le site Acrimed).


Première question : Qui a publié ce livre que cite Acrimed "Les dirigeants face au changement" ?


La réponse que j'ai trouvée après une recherche sur internet est celle-ci :
1) c'est l'entreprise EIM qui est à l'origine de ce livre. Le cœur de métier de EIM est "l'accélération du changement" comme elle le dit elle-même sur son site.
2) Patrick Le Lay est bien un des dirigeants cités dans le livre.
3) Je n'ai pas lu le livre et n'ai pas pu vérifier que ce sont bien les propos qu'il a tenu.

Voici ce que dit EIM d'elle-même :

"Forte de son expertise et de sa dimension mondiale, l’équipe des Conseillers EIM représente une ressource exceptionnelle d’expériences cumulées en matière de transition et d’accélération du changement."

Qu'est-ce que ces personnes veulent dire ? De quels changements mondiaux s'agit-il ? Et pourquoi faut-il les accélérer ?


Deuxième question : Patrick Le Lay est-il d'accord pour reconnaître les propos qu'on lui attribue ?


Pour cela, on peut suivre ce lien d'Acrimed qui reprend une interview de Patrick Le Lay dans le journal Télérama. 
Mais aussi, écouter les explications qui semblent venir de Patrick Le Lay ici 
Pourquoi Patrick Le Lay ne fait-il pas référence au livre pour lequel il a été interviewé ? Sur sa chaîne YouTube (si c'est bien lui) , il a posté 5 vidéos dans lesquelles il se défend d'être Français, mais plutôt du peuple des Bretons, opprimé et massacré par la République. 





Troisième question après avoir écouter les vidéos : Patrick Le Lay est-il en train de nous expliquer qu'il vend, sans vergogne et sans états d'âme, du temps de cerveau disponible de Français, ces étrangers, parce qu'il serait Breton et que les Bretons auraient été colonisés - il cite une déclaration de 1905 du Petit Père Combes -  ? Il "colonise" ainsi les cerveaux français.


Ma conclusion : Il semble que Patrick Le Lay se soit fait piéger - par qui ? - et qu'il cherche à se dédouaner de ses propos, rapportés par des tiers, en se portant victime : "la Bretagne a perdu la guerre en 1492 pour appartenir à la France et la Troisième République a voulu la coloniser" donne-t-il entre autres comme arguments.  
- Son objectif est de se débarrasser de sa culpabilité qui est celle-ci : laver le cerveau des téléspectateurs de TF1 au profit de multinationales qui ont des produits à vendre. 
- Et sa technique est vieille comme le monde : attaquer, accuser les autres pour que ce soit "eux" qui soient les coupables. "Eux",  c'est à dire les "Français".
Il est donc Français quand il s'agit d'être le patron très bien payé de TF1, mais toutes les erreurs qu'il fait en tant que patron, il les attribue au fait qu'il est une victime bretonne.
Est-il honnête de se servir du victimat pour justifier ses mauvaises actions ? Patrick Le Lay est-il, personnellement, une victime ? 
On peut le remercier d'une chose : nous avoir expliquer très clairement à quoi nous servons pour les télévisions. On ne peut plus faire semblant de l'ignorer.


Petite excursion dans l'histoire et la géographie de la France :
Qui est cette France qui a colonisé les régions dont elle est formée ?  Comment distinguer entre colons et colonisés au sein de l'hexagone ? 
Un petit rappel de la longue histoire de la construction de la France en cartes.



dimanche 15 janvier 2012

Jojo de la jungle

(Thomas Lavachery, L'Ecole des loisirs, mars 2010)
Jojo de la jungle. Vantard et méchant, Jojo répète à chaque page "Je suis un type bien". Alors quoi ! Jojo est-il hypocrite ?
J'ai acheté cet album car il est le seul, à ma connaissance, dans lequel on peut trouver une critique, l'air de rien, de la "bonne morale" de notre époque.
D'abord on rit de cet affreux jojo qui se vante de ce qu'il n'est pas, c'est à dire un "type bien".
Ou bien si justement : on se prend à penser que c'est exactement cela un "type bien".  Et l'auteur nous liste toutes les bonnes actions de Jojo : aider les autres, être généreux de son temps, ne pas enfumer ses voisins, agir pour la planète, respecter les "différences". Jojo a toutes les bonnes idées qu'il faut avoir à notre époque et il se décrit lui-même les pratiquant. Il est parfait, ce Jojo !
Sauf que quand on lui fait du mal, alors là, il n'est pas content du tout. Et pan ! Et pan ! Alors Jojo ne serait pas un "type bien" ? Si. Et c'est là que se situe sa souveraine hypocrisie. Je vous laisse la découvrir à la dernière double page. Un vrai petit "saint" !
Oui, il est bien le portrait exact de l'hypocrite de notre époque : le "type bien".
On reprend le livre et dans chaque image, on cherche la pointe, le trait... on découvre, on relit les mots un à un et on les relie, on interprète...
Exemple :
"Je suis un type bien.
Chaque matin, je verse
un pot de terre à Trii,
l'arbre sans racines.


"Trii", c'est l'arbre en anglais : "Tree". C'est aussi le fameux tri de nos déchets dans les poubelles jaunes, bleues, vertes... Jojo s'applique donc à faire le tri selon les injonctions reçues. Pour cela, il verse un pot de terre dans la bouche grande ouverte de l'arbre... sans racines. C'est le "tri" obsessionnel au point de devenir fou. L'arbre n'a plus besoin de ses racines pour se nourrir : Jojo est là pour lui verser sa dose chaque matin. L'arbre est une poubelle à qui on fait ingurgiter ce qui lui est nécessaire pour vivre.
Quel est l'avantage d'un arbre sans racines pour Jojo ? C'est que l'arbre est entièrement dépendant de lui pour se nourrir : on peut le déplacer n'importe où, rien ne le retient. Surtout pas ses racines, c'est-à-dire son passé, son histoire, sa culture. Il devient très docile, dépendant, malléable, corvéable.
Cynique, Jojo ?
L'exercice peut se faire pour chaque double page : regarder attentivement l'image ; se laisser aller à se dire tout ce à quoi elle fait penser globalement et dans le détail  (par exemple, dans la première double, on voit un serpent autour d'un arbre : à quoi cela fait-il penser ? au serpent de la Genèse, le tentateur d'Adam et Ève) ; puis lire le texte, et faire le même exercice pour les mots ; puis lever la tête du livre et se poser la question : "Qu'est-ce qu'il est en train de me dire, là, sur cette page, Thomas Lavachery ?".
Machiavélique, cet auteur !
À vous de jouer !
Un peu d'histoire politique pour réflechir sur cet album : écouter ce texte d'Alexis de Tocqueville extrait de son livre "De la démocratie en Amérique" (video empruntée à l'internaute jaar2001) écrit au début du XIX° siècle. Fasciné par la démocratie américaine, l'auteur en montre aussi les limites ou les dangers.

mardi 10 janvier 2012

Les îles du temps. La forêt au temps des dinosaures

(Marta Mazzanti, Giovinna Bosi, Riccardo Melo, Éditions Le Pommier)


Les îles du temps est un documentaire sur la flore préhistorique. Ce livre débute par le récit des aventures imaginaires d'un scientifique et de deux jeunes gens. Ils sont "emportés" dans un monde géographique préhistorique. Récit léger qui accompagne de superbes vues de paysages.
Suit une série de planches descriptives de la flore (un peu de faune aussi) reconstituée par des botanistes, puis une autre série montrant les plantes actuelles survivantes de cette époque.
L'objectif est d'initier le public des enfants (mais aussi des adultes) à une science peu connue, la paléobotanique. Comme le précisent les auteurs "Recomposer un organisme au complet avec tous ses éléments est l'un des objectifs les plus importants de la science qui étudie les fossiles, la paléobotanique". C'est ce qu'ils font pour nous, lecteurs.
Les illustrations de l'architecte "environnemental" Ricardo Merlo sont un mariage très réussi entre la précision scientifique, la beauté dans l'expression des paysages et la légèreté et l'humour d'un illustrateur pour la jeunesse.
Un tableau chronologique de l'évolution des plantes parallèle à celle des animaux complète ce livre qui a toute sa place dans une bibliothèque d'enfant. Contrairement à la plupart des documentaires, il ne peut pas devenir entièrement obsolète grâce aux planches botaniques reproduites. De plus les auteurs expriment sans fard l'incertitude qui existe dans leur travail scientifique.
Pour découvrir les botanistes en action, voir les comptes-rendus photographiques de la Société botanique de France

jeudi 5 janvier 2012

Les songes de l'ours

(photos et texte de François Delebecque, Editions Thierry Magnier, 2005)

Les photos sont celles d'ours en peluche appartenant à des collectionneurs qui désiraient éditer un livre sur ce sujet. François Delebecque avait été chargé de faire les photos. Mais les collectionneurs n'ont pas trouvé d'éditeur.
Le photographe en a donc fait un récit en images, car, comme il me l'a dit, tandis qu'il prenait les photos, il se racontait des histoires.
Puis il a écrit le texte. Faisons comme lui, l'image d'abord, le texte ensuite.
Je vous propose un exercice (matériel : papier blanc, papier calque, un crayon à papier) :
- Ne pas ouvrir le livre.
- Découper 20 carrés de 20 cm sur 20 cm dans du papier blanc ordinaire. Et les glisser entre les pages.
- Ouvrir page après page en ne regardant que les photos, le papier blanc recouvrant la page de texte.
- Laisser d'abord son coeur s'imprégner de la beauté de l'image tout en regardant les éléments qui la composent. Pour la première page, par exemple, regarder la lumière sur le nez et l'épaule de l'ours qui fait contraste avec la silhouette de son corps dans la pénombre. S'apercevoir qu'une traînée de lumière balaie la prairie, les brins d'herbes jusqu'à lui. Il regarde le soleil, à l'aube peut-être, comme s'il venait juste à la vie. Au loin, dans le tiers supérieur de la page, une rangée d'arbres flous forment une barrière qui cache un monde incertain : un château ? Une ville ? Une église ?

- Sur un papier calque, tracer au crayon les grandes lignes de la construction de cette image : la silhouette de l'ours, la ligne qui délimite la prairie et la rangée d'arbres, deux traits pour la lumière, les barres verticales des arbres. Faire l'exercice pour toutes les images.
- Décrire pour chaque image, par écrit ou par oral (en s'enregistrant par exemple), ce qu'on "croit" qui se passe. Exemple : "on dirait qu'il a vu quelque chose", ou "il a perdu son chemin", ou encore la phrase poétique de votre invention, etc...
- Fermer le livre.
- Enfin, après avoir mis de côté toutes les pages blanches et le travail sur le calque, ouvrir de nouveau le livre en lisant le texte de l'auteur tout en regardant les images que vous connaissez bien maintenant. Le sens de ces images va traverser votre corps, votre coeur, votre intelligence comme une onde.

dimanche 1 janvier 2012

À minuit



{La Joie de lire, février 2011, sur un poème de Eduard Mörike (1804-1875), illustré par Hannes Binder}
Sonate No.14 cis-moll op. 27 No.2 'Mondschein' - 1. Adagio sostenuto by Emil Gilels on Grooveshark

À minuit Voilà un très bel album à offrir à un enfant même tout petit, même s'il n'a que deux, trois ou quatre ans.
La technique est celle de la carte à gratter (une forme de gravure sur carton). L'illustrateur a construit page après page des paysages dans le style des gravures anciennes ressemblant à celles qui illustraient les livres d'aventures fantastiques de Jules Verne, en noir et blanc.
Le fantastique y pénètre doucement par instant. La première image est construite ainsi : sur la partie droite, un sentier suit le bord de l'eau, bordé d'arbres et de maisonnettes anciennes dans une ombre propice à la méditation. Puis l'image semble s'animer à force qu'on la regarde : les arbres et arbustes sont secoués par une tempête. À ce moment la partie gauche de l'image prend toute sa dimension : une mer déchaînée se rue vers le sentier ; et d'ailleurs, on ne peut plus distinguer le ciel et l'eau ; cette partie gauche est plus claire et fait un fort contraste avec l'autre. La mer va-t-elle nous emporter ? Où l'illustrateur nous emmène-t-il ?
Ces images sont vivantes. Elles se regardent longuement.
Grâce à cet album, un petit enfant découvre le mystère des images en noir et blanc. Il éduque son œil par la magie des constructions très soignées des paysages. L'atmosphère est propice à un échange avec un autre enfant ou avec un adulte pendant lequel on imagine ce qui se passe dans cette image, ou dans les suivantes. Ainsi son imaginaire se déploie, porté par les sensations étranges et curieuses qui se dégagent de cet album.
Le texte est une traduction d'un poème d'un auteur allemand du XIX° siècle. Il personnifie la "Nuit" et le "Jour". Un adulte peut le comprendre, certes, s'il est sensible à la poésie, mais sûrement pas un enfant.
Cela n'a pas d'importance pour lire ce livre.
C'est LE très beau album publié cette année 2011. Il peut être le premier livre de la bibliothèque de l'enfant et mérite de le suivre toute sa vie.
Il est une initiation à la méditation intérieure à partir de l'image et il n'est jamais trop tôt pour commencer.